Pablo Picasso, Maya à la poupée, 16 janvier 1938, Huile sur toile, 73,5 x 60 cm Dation, 1979, MP170 © Succession Picasso Cliché : RMN-Grand Palais (Musée Picasso – Paris) / Jean-Gilles Berizzi
Figurez-vous, chers lecteurs-trices, que Princesse Rebelle n’a pas consacré tout son temps, depuis son dernier texte, à procastiner son prochain. Elle a, incidemment, loué sa plume et traqué la faute de français, armée de sa lorgnette, le temps d’une brève aventure de travailleuse autonome.
Que je vous raconte un peu. Retraitée de ma carrière principale en 2014, j’ai fait par la suite rédactrice-réviseure à temps partiel. Permettez que je m’autorise quelques digressions avant d’en venir au fait; après tout, ma rareté sur ce blogue depuis quelques années vous a bien laissé un répit, non?
Je n’avais plus travaillé à mon compte depuis l’âge de 25 ans, optant pour le service public à la façon de ma mère, agente de bureau au Gouvernement du Québec, et de ma grand-mère maternelle, institutrice d’une petite école de rang.
J’ai étudié tout en travaillant quinze années durant : envolée du nid familial dès l’âge de 17 ans j’ai cumulé DEC, Baccalauréat (= License) et Maîtrise dans un long marathon, auxquelles les joies maternelles se sont ajoutées en cours de route.
Au cours de ces années d’études, j’ai gravi les échelons professionnels un par un, de concours en concours, jusqu’à l’atteinte d’un poste qui comblait mes attentes, vers la fin trentaine. J’étais une fille de contenu, de recherches poussées et d’expertise.
J’ai adoré mon travail d’experte conseil et de formatrice, jusqu’en 2007. Une année de combat contre le cancer du sein m’a alors plongée dans un univers parallèle avec abonnement à temps plein aux salles d’attentes d’hôpitaux. Heureusement, je n’en ai retenu que les aspects réjouissants, tels la découverte de la science de l’oncologie, le retour à l’écriture et la chance que j’avais d’être entourée, et si bien. Je lisais jusqu’à 20 heures par jour à certains moments, because l’insomnie due aux traitements, intriguée, fascinée.
J’ai publié le présent blogue sur mon parcours à partir de juin 2007, participé à des groupes de recherche, au projet de maîtrise d’une kinésiologue de l’Univesité de Montréal, me suis entraînée physiquement avec acharnement. J’ai pratiqué le yoga avec d’autres patientes aussi chauves que moi. J’ai fait de la photo amateure malgré un modeste appareil automatique à l’époque. Je suis même devenue Mamie cette année là avec allégresse, certains s’en rappelleront.
J’ai connu virtuellement d’autres patientes blogueuses et échangé avec elles ; les GÉNIALES:
Isabelle de Lyon ( http://isabelledelyon.canalblog.com/ ),
Catherine Chavenko Cerisey ( https://catherinecerisey.com/ ),
Hélène Bénardeau ( http://lacrabahuteuse.fr/ ),
Méli-Lotus ( http://blogdemelilotus.wordpress.com/ ) ainsi que
Magalie ( http://magsblog.com ) la jeune maman française vivant en Australie.
J’ai rencontré Sandrine et nous avons parlé de convalescer ensemble, chez elle, dans sa Provence, et depuis son sourire fait partie de ma vie.
J’avais lancé mon blogue sans attente, bouteille à la rivière tout au plus et si on me lit, tant mieux. C’est l’océan qui m’a retourné des centaines de missives, avec en prime des amitiés nouvelles.
Le retour au travail post-cancer, prescrit trop tôt, encore sous chimio, fut un choc traumatique. Mes repères s’étaient désintégrės, mes mentors avaient pris leur retraite… Dans un cours universitaire du début des années 80, on aurait parlé de « changement de paradigme » pour décrire ce qui était survenu à l’univers que j’avais quitté un an plus tôt.
Avec le recul, je crois que ce bouleversement n’était que l’arrivée, dans ma sphère professionnelle, d’une des tentacules d’un grand poulpe mondial sans visage. Je laisse à d’autres, plus compétents que moi, l’analyse de ce phénomène. J’ai toutefois noté en passant que les contenus n’avaient plus la cote.
Toujours est-il que, ma lorgnette sur le nez, je m’amusais bien à rédiger et à réviser des textes variés pour différents types de clients. L’expérience m’ayant pourvu de quelques notions dans un certain nombre de matières, je naviguais à l’aise.
Or un beau matin d’octobre 2015, les lettres se sont mises à sautiller sur mon écran, à changer de place comme des élèves espiègles, les g se déguisant en 8 ou en q, les u en o, les accents aigus en trémas, bref je n’y voyais plus guère. Mon premier réflexe fut de blâmer mes nouvelles lunettes de lecture, pourtant si mignonnes, toutes roses, puis l’affichage de l’écran, etc.
La semaine suivante, arrêtée au feu rouge derrière une autre voiture, me prend l’idée de regarder sa plaque d’immatriculation en fermant l’oeil droit (tout va bien), puis le gauche (là, apparition d’une étrangissime vision). La plaque d’immatriculation comportant six symboles, disons « ABC 789 », voilà que les quatre symboles du milieu sont disparus, ne laissant que « A / 9 », soit les symboles aux deux extrémités. Le reste a été littéralement englouti par le milieu!
Abasourdie, je répète l’exercice avec divers objets. Un passant marche de l’autre côté de la rue : si je ferme l’oeil gauche et fixe sa tête de l’oeil droit, cette dernière disparaît et je ne vois plus qu’un corps décapité poursuivant son chemin.
« Mamaaaan! Où est passée la tête du monsieur? » m’écriai-je mentalement.
Fixant l’affiche « Arrêt » ou la lumière rouge avec mon seul oeil droit, je ne vois plus que le poteau.Tout ce que je fixe de l’oeil droit, l’oeil gauche fermé, disparaît instantanément. Ce serait extrêmement rigolo… si c’était temporaire. Alarmée, je laisse un message à mon cousin opticien.
« Vas immédiatement consulter à l’hôpital » me conseille-t-il, le samedi matin ensoleillé de son retour d’appel.
À l’instant précis où nous quittions, tous guillerets, la ville pour le chalet.
« Heu… là maintenant je ne peux pas, mais lundi sans faute j’appelle mon ophtalomologiste » réponds-je joyeusement en jetant mes bottes de rando dans mon sac.
« Non, non, tu dois aller tout de suite à l’urgence de l’hôpital Machin Chouette » affirme mon cousin.
« Quoi? Voyons, cousin, t’es pas un peu alarmiste là? ».